Résumé:
Le rapport entre savoir factuel et fiction est inverse en histoire et en littérature : l’histoire tend, par postulat, vers le degré zéro de fiction, alors que dans le roman, la construction de récits imaginaires, la création libre de personnages, situations, actions et événements, prévalent sur la transmission didactique de savoirs avérés. Pourtant, chez Modiano roman et histoire ne se font pas ombrage, même si leur rapport demeure problématique ; le roman ne se substitue pas à l’histoire, mais ces deux domaines sont en situation de complémentarité. En effet, les informations factuelles de Modiano sont crédibles bien que son objectif essentiel réside dans le fait de transmettre une expérience, un état affectif personnel à travers la création d’un univers particulier : la géographie modianesque de la ville de Paris (généralement), de 1940 à nos jours.
L’historien, au sens académique du terme, n’est pas censé donner carrière à son imagination mais, au contraire, centre l’essentiel de sa réflexion sur l’analyse critique des documents, et, de ce point de vue, Modiano n’est pas historien, encore que sa connaissance très fine du récit national français moderne soit patente et confère du crédit à ses romans. Cependant, son objectif premier n’est pas de faire oeuvre scientifique mais d’exprimer un état affectif personnel à travers la tonalité particulière de sa création romanesque. Notre thèse a pour propos l’analyse des romans de Modiano comme des romans historiques dans la mesure où ils représentent un univers situé dans une période historique passée (Occupation, France des années 60-80) de sorte que le lecteur a le sentiment de vivre l’époque décrite à travers la narration d’événements parfois authentiques, parfois invérifiables ou carrément fictifs mais toujours plausibles, des descriptions de lieux, de personnages authentiques ou fantasmés, etc. Les romans de Modiano sont historiquement « vrais » en ce sens d’abord qu’ils peignent l’état d’esprit de l’auteur à propos de la responsabilité nationale dans la défaite et la compromission, mais également les interrogations dans la conscience collective française à l’issue de la seconde guerre.